fin de stage, milieu de terrain, début de soirée

   

    Sébastien Vial sait peindre des systèmes complexes comme l'arbre, le monsieur, la maison ou les nuages. Mais il faut faire preuve d'un certaine bienveillance pour apprécier cette peinture qui ne crâne jamais. Penchez-vous sur
la baignoire et vous verrez des bulles grossièrement figurées par un cercle à peine fermé. Penchez-vous encore, vous verrez des bulles qui se font passer pour des bulles, peintes avec une patience qui me dépasse. Au point qu'on se demande si ils ne sont pas plusieurs à partager le boulot de peintre de Sébastien Vial, à l'image de ces quatre ouvriers qui se déguisent pour partager un seul travail dans l'An 01, pour se fatiguer moins et vivre plus. Dans le peintre Sébastien Vial, cohabitent un paysagiste un peu vieille France qui lave ses pinceaux tous les soirs, un dandy de la post-abstraction qui n'a pas peur du rose et des coulures, une brute épaisse avec un permis de peindre dont tous les points ont sauté, et un figuratif mélancolique qui peint des hommes qui nous ressemblent mais qui foutent les jetons. Je les aime tous autant, surtout quand ils arrivent à s'entendre le temps d'une toile, ce qui arrive assez souvent pour nous permettre de dire qu'il y a bien un et un seul Sébastien Vial.
 

    Le même qui me dit qu'il ne s'inscrit pas dans la figuration narrative. Et pourtant, on a un grand plaisir à pratiquer une exégèse appliquée de ses toiles. Dans le fond, ses sujets sont d'une banalité bien ajustée: un jeune homme lit dans un intérieur qui le dépasse.  Leurs traitements respectifs sont à leur image. Lui est soufflé à l'aérographe, bombé, découpé au stencil. Son bureau a la facture réaliste qui sied à cet appartement parisien. Ailleurs, un quidam en collants, prêt à déclamer, est téléporté dans un paysage montagnard, structuré par cent sapins trop bien organisés pour ne pas être de mèche. Un sapin orphelin fait la gueule, à peine dessiné. Tombé dans le même vortex, un cycliste hi-tech qui a perdu son guidon est comme transplanté dans un décor composite, dont le fond baveux est lumineux et romantique, et le premier plan écrasé et numérique. Sébastien Vial joue parfois aux jeux vidéos, mais seulement pour modéliser des décors héroïc-fantasy, telles ces huttes piétinées par deux personnages armés respectivement d'une hache et d'une guitare, ce qui donne envie de jouer au mêmes jeux que lui. En somme : un peintre qui imite un logiciel qui imite la nature. De la peinture de peintre, alors ? Dans la facture peut-être. Mais peintre ou pas, ses sujets se laissent saisir sans peine. 

    Partout, les recouvrements successifs aboutissent à un modelé qui ne croûte pas, et à de grandes flaques aquarellées qui rappellent les beaux jours de l'illustration tchèque. De rares à-plats traîtres et de grands coups de brosses débiles viennent tempérer ces enthousiasmes picturalistes. Chez Sébastien Vial, le petit jeu de l'ombre et de la lumière est supplanté par un autre petit jeu, bien plus dangereux mais bien plus intéressant parce qu'il transcende la technique en convoquant le sens: un personnage vite troussé, un peu crétin, au degré de finition bas, sera éclairé par un fond soigné et riche. Et inversement. Sébastien Vial peint avec ses tableaux, qui sont mille petits tableaux vivants, vite nés sous un pinceau tolérant, mille toiles qui piaillent leur identité dans une seule, qu'il circonscrit dans des formats traditionnels. 

    Car s'il installe sa peinture, c'est sans formule, sans gimmick, sans apport conceptuel particulier. Les dormeurs de vos nuits sont plus belles que mes jours sont peints sur des caissons mis en perspective par une structure porteuse qui, si elle est discrète, n’en est pas moins visible. Mais elle n’est pas recouverte de plumes d’oie ou peinte imitation laine,  elle ne dit rien du tout : elle est faite de bêtes tasseaux. Elle porte. Sébastien Vial n'est pas un artiste à systèmes, ce qui ne veut pas dire que les idées lui manquent. D'autres dormeurs, plus anciens, peints directement sur de vieux matelas, donnaient envie par le caractère séduisant de l'installation : un sleep-in crado, exposé au sol, qu'on aurait visité les yeux baissés. Qu'on ne verra pas ici, projet en suspens. Ce que Sébastien Vial a peint, ce sont huit dormeurs, point. Là où le concept se niche, c'est, je l'ait dit, dans le traitement du sujet, mais aussi dans les raccourcis sémantiques que le peintre emprunte pour donner à voir. Il y a peinture d’idées dans les deux petits palais,  où un château gonflable et une enfilade de tonnelles moches se disputent un territoire flottant qui appartient au domaine du bâti, motif récurrent de cette exposition, qui montre bien comment, en dix ans de peinture, Sébastien Vial a construit sa maison. 

    Une maison riche d'acteurs pas bavards, qui disent leur incapacité à jouer quoi que ce soit dans ces décors instables. Et dont le statut de personnage ne leur assure aucun traitement pictural de faveur : ils sont parfois réduits à leur plus simple expression, fantômes translucides à la Bacon dans petit palais, silhouettes en à-plats dans fin de stage. Voire scalps, qui lévitent au nombre de sept dans band, une composition rayonnante qui réconcilie Nevers et Los Angeles dans une orgie de ce rose Hockney dont ils ont tous les deux le secret. Ce sera probablement la couleuvre la plus difficile à faire avaler aux incrédules : Sébastien Vial est un peintre West Coast. Sa pratique de peintre a la légereté décomplexée propre à la scène californienne, dont les représentants  peignent comme on écrit des chansons : sans se poser de questions. Si ses toiles pouvaient rouler, elles feraient du skateboard en chaussures de ville.

 

 

Halory Goerger

 



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